Art éphémère et mandalas
Après le pique-nique, nous continuons vers Barachois. En 2005 nous nous étions arrêtés à Percé et c'est bien dommage, car le paysage change totalement après Percé et devient plus montagneux, au bord de plages magnifiques. C'est sur l'une de ces plages, au bord d'un barachois qu'a lieu la biennale "Barachois in Situ", organisée par "Vaste et Vague," notre centre d'artistes à Carleton.
Je m'y rends de manière plus détachée qu'à Saint Jean Port Joli, car je n'ai pas assisté à toutes les préparations, pas suivi le travail des artistes depuis le premier août jusqu'au 11. Mais je perçois certaines similarités, pressentant que là aussi, une sorte de connivence et amitié s'est développée au fil des jours entre les participants. À quinze heures commence la visite guidée. Natalie Chicoine, artiste d'origine mic-mac, a réalisé une cage à homards géante à base de petites cages à homards. Hommage au travail de son père et de ses ancêtres. On peut y entrer et s'y sentir comme un homard pris au piège...
Mathieu Gotti a sculpté un bateau de bois, prêt à prendre la mer avec un singe sur le pont et trois bidons d'essence colorés et surdimensionnés. Jo. suggère: "quand on n'aura plus d'essence on redeviendra des singes?"
Loriane Thibodeau, comme d'autres artistes à Saint Jean Port Joli, s'est laissé inspirer par l'argile locale pour représenter des bornes fontaines à incendie qu'elle a ensuite remise à la mer afin que celle-ci accomplisse son travail de sape.
Le petit chemin de fer à une seule voie est un élément omniprésent dans le paysage, mais il n'y passe plus de train. Alors on peut y installer momentanément une sculpture qui met en relief cet étrange monument enjambant la mer pour gagner la bande littorale du barachois. Une jolie perspective... (André Boisvert)
Dory's Tremblay a installé de grands nids d'oiseaux migrateurs fictifs, au bas du pont ferroviaire. Plus loin, une spirale commençant dans le sable s'élève en tournoyant, bâtie de bois et d'algues rejetés par la mer. (Bernard Hamel) Et toute une ligne d'hirondelles("riparia riparia") en plâtre semble contempler le large, perchées sur des tiges de métal. Là aussi la mer a déjà prélevé son quota, sur la centaine d'oiseaux perchés créés par Pierre-Étienne Locas une trentaine ont déjà disparu.
Nous assisterons encore à une chorégraphie qui commence dans les dunes et se termine sur la plage. (Andrée-Anne Giasson) Et pour terminer, nous observerons les "cabinets de curiosités en plein air" de Chloé B. Fortin, des sortes de boites où il faut coller son œil pour découvrir la silhouette d'une plante ou d'une feuille dans toute sa minuscule beauté, que l'on oublie souvent de regarder.
Toutes ces créations ont pour vocation d'être éphémères. "Tout disparaîtra, mais le vent nous portera" (Noir Désir). Créer en sachant que l'œuvre sera bientôt anéantie par la nature, ainsi que l'ont fait sciemment Johanna et Mathilde, une leçon d'humilité? Nous savons que rien ne dure, même ce qui est gravé dans le marbre finira par disparaître un jour. Mais on a toujours une petite illusion d'éternité que l'on écrive, peigne ou sculpte. Cette chose que je fais me survivra. Les artistes de l'éphémère ont-ils abandonné cette idée-là? Les lamas tibétains créent avec les mandalas des images merveilleuses en sable de couleur. Une fois l'image terminée, ils la détruisent sans regrets afin de montrer la vanité de toute chose. Manifestement, je ne suis pas encore parvenue à cette sagesse...
Le soir, bière et saucisses pour tous, par une belle fin de journée où le soleil éclaire de plus en plus de biais ce fantastique paysage. Nous repartons ensuite au crépuscule avec la famille Plouffe pour un trajet d'au moins trois heures pour rentrer à la maison.
Deux jours encore à Carleton, avant le retour vers Saint Jean Port Joli pour installer la sculpture dans le jardin du monsieur qui l'a achetée, puis départ pour Montréal pour deux jours encore. Eh oui le séjour tire à sa fin...