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Québec, Bavière: faits du même bois?
5 octobre 2018

Sanaak et les Inuits

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Une des découvertes de ce séjour a été de constater la considération nouvelle accordée aux "premières nations". Justin Trudeau s'est excusé pour les malheur auxquelles elles ont été soumises. En 2008, Richard Desjardins avait sorti son film "le Peuple invisible" sur les Algonquins. Depuis, et peut-être aussi grâce à lui, ils semblerait que ces peuples aient acquis un peu plus de visibilité.

Natalie, qui connaît mon intérêt pour la question m'avait prêté "Sanaak"(Les éditions Alain Stanké, Québec, 2002): le récit d'une femme Innue, Mitiarjuk Nappaluk, née en 1931 au Nunavik. Écrit dans les années 50, "le premier roman inuit" a été publié en 1983. Sanaak est le nom de l'héroïne, dont on suit les aventures. Elle nous fait découvrir la vie des Inuits dans un environnement extrême et face à l'envahissement de leurs terres par les Blancs et leur civilisation. (En gros, 1930-1948) Les événements se télescopent dans sa mémoire et il ne faut pas s'attendre à un roman de facture occidentale. La narration n'est pas linéaire, ni datée, on mélange parfois les époques. On suit cependant avec un intérêt soutenu la vie de Sanaak, de sa sœur cadette Arnatuinak et de sa fille Kumak.

Elle décrit avec précision les objets et les actions quotidiennes, ce qui fait que le livre est aussi une sorte de glossaire de la langue inuit: cueillette, pêche au kayak ou sous la banquise, récolte d'œufs d' oiseaux, chasse et accidents divers, couture, cuisine et repas (la première vertèbre dorsale du phoque est la meilleure!) Les chiens jouent un grand rôle dans la vie quotidienne, ils sont souvent houspillés et traités de voleurs, car ils cherchent toujours la meilleure occasion pour chaparder un peu de nourriture supplémentaire.

Sannak refuse d'épouser un prétendant trop vieux qui ne pourra pas la soutenir dans ses tâches quotidiennes, mais elle accepte un homme plus jeune avec qui elle aura un second enfant, Galliusuk. Chaque chapitre est une petite vignette décrivant une aventure: pêche, chasse à l'ours, au phoque, au bélouga ou au lagopède... L'aventure des chasseurs perdus dans le blizzard est un chapitre vraiment angoissant par sa description très réaliste, et la solidarité entre les membres du clan est omniprésente.

"Sans les ainés, les Inuits ne sont rien, car il y a une foule de connaissances que seuls les ainés possèdent. Mes connaissances ne viennent pas de moi, mais de mes ancêtres. Je les possède en apparence, mais en fait elles viennent des gens qui m'ont précédée et je vous les transmets à vous tous pour tous vos descendants et tous vos parents"(p.159)

On ne peut que rester rêveur devant une telle affirmation, dans nos sociétés où les anciens sont dépassés par les innovations techniques et ne sont plus qu'une charge qu'il va bien falloir trainer jusqu'au bout... ;-)

La forme choisie est souvent celle d'un dialogue, ce qui rend le texte très vivant. On sent que l'auteur est issue d'une culture orale. Son style est alerte, fluide et vivant, un peu comme un scénario de film. Elle transcrit même les bruits et les cris d'animaux ou d'enfants.

On assiste à la construction d'un igloo, et à la vie dans celui-ci en hiver ainsi qu'au déménagement sus la tente à l'arrivée de l'été.

Lorsque les "Qallunat" (les Grands Sourcils) arrivent, descendant d'un navire, les Inuits sont un peu effrayés, mais voient vite que ce sont des êtres humains et acceptent leurs cadeaux. Alors, "ils travaillent à la construction d'une maison" , c'est à dire qu'ils viennent s'installer en pays inuit! On voit arriver les premiers missionaires et les Inuits doivent alors choisir entre catholicisme ou anglicanisme. On explique dans la postface que la première partie du livre (37 chapitres) a été rédigée à la demande d'un prêtre. Par conséquent et par une sorte d'autocensure, l'auteure, elle-même convertie, évite toute allusion aux croyances ancestrales et évoque un "kapianartuvik" (enfer) et un "quvianartuvik" (paradis), bien éloignés des croyances originelles.

La seconde partie a été rédigée à la demande d'un ethnologue. On y trouve des contes et légendes: le pécheur de truites ou la légende de Lumaajuk, le garçon aveugle au milieu des bélougas.

Elle ose alors aborder "les querelles de ménage." Sanaak est frappée si fort par son mari qu'elle doit être évacuée en avion vers un hôpital. Qualingu doit travailler chez les Blancs et succombe à une dépression. Sa sœur Arnatuinaq a une liaison avec le chef du magasin blanc et a une petite fille qui sera baptisée. Qumak et sa cousine partent très loin dans une école blanche où elles pleurent beaucoup,ressentant la nostalgie du pays perdu. Maatiusi est possédé par une "nulliarsaq", femme invisible aux très grands pouvoirs. L'auteure ose alors parler des esprits et de l'influence du monde invisible sur les comportements humains.

J'ai aimé ce livre si vivant qui, comme le souligne la postface est "un outil privilégié de rencontre avec une culture si attachante et soumise à tant de bouleversements" et qui montre en pointillés comment cette culture fut presque entièrement détruite par l'arrivée des "Grands sourcils".

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Québec, Bavière: faits du même bois?
  • En juillet 2018 aura lieu à Saint-Jean-Port-Joli une Biennale de la Sculpture réunissant 7 artistes québécois et 7 artistes bavarois qui travailleront en tandem. Ce Blog accompagnera et documentera leur travail et fera découvrir leur environnement.
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